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L’orgueil.

 

« Lettre posthume »

 

Je vous en prie… ne faites pas comme moi.

Vivez intensément ce que vous devez vivre et ne vous interdisez rien.

Si la chance se présente à vous, acceptez-la !... car elle est probablement unique.

Même si parfois vous traversez des épreuves qui vous semblent injustes… soyez patient.

Très souvent, elles se transforment et aboutissent en une situation positive.

Ne tentez pas de modifier votre destin !

 

Chers amis lecteurs…

Ne soyez pas choqués ni effrayés...

Car à l’heure où je vous écris… je suis mort depuis plusieurs mois.

Je m’appelais Benoit et j’avais juste 25 ans.

J’aurais fait un bref passage sur cette folle planète et dans cette incompréhensible civilisation.

Je n’existe plus… et personne ne me pleure. C’est comme ça.

Par contre, oui… je regrette ma mort.

Je pouvais faire mieux de ma vie, si je l’avais mieux géré et si je l’avais positivé davantage.

Oh, ne croyez pas que je pleure sur mon sort… non. Je ne suis même pas triste.

Je regrette, tout simplement, car je suis passé devant mon unique chance de réussir.

Foutu destin quand même, alors que tout s’annonçait bien !

En fait, je dois vous l’avouer… je me suis suicidé.

Oui. Suicidé par excès d’orgueil.

J’en avais eu assez.

Je me suis noyé un soir de septembre dans le grand fleuve… Un soir de grande déprime.

 

Permettez-moi, chers amis, que je vous raconte ma triste histoire.

 

J’étais un jeune homme tout juste sorti de l’adolescence… Pas très beau, physique moyen, longs cheveux récalcitrants noirs épais et frisés, me faisant une sorte de boule sur la tête. La peau blanche et de l’acné sur le visage. Surtout sur le front. Grand et légèrement enveloppé. L’air maladroit et balourd dans mes gestes. Lunettes de myope trop lourdes sur mon nez trop petit. Il me manquait un peu de charme.

Un peu trop timide aussi… mais toujours poli et respectueux. Trop, peut-être !

J’avais une allure d’apparence fragile et molle. Pourtant, j’avais une bonne et solide santé. Certes, le sport ne m’intéressait pas trop. Moi, c’était « La culture et apprendre toujours plus » qui me passionnaient.

Plus intellectuel que physique… Vous voyez ? 

 

Pourquoi avais-je fait ce geste irréversible ?

Par pure bêtise et par excès d’orgueil… Voilà tout !

 

Ma vie avait commencée par un signe.

J’avais eu de bons parents… hélas, disparus trop tôt lors d’un crash d’avion. J’avais juste quatre ans. Pas de frère ni de sœur.

J’avais été élevé par mes grands parents qui m’avaient donnés une excellente éducation, et qui m’ont permis de faire de longues études.

Cela faisait cinq années qu’ils avaient disparus eux aussi.

Je me retrouvais seul, trop tôt !… Mais mes grands parents m’avaient mis sur la bonne route du savoir et de la culture. Ils n’ont jamais contrariés mes souhaits et mes désirs.

J’étais un garçon intelligent et vif d’esprit… J’apprenais avec une grande facilité. Je pouvais me garantir d’avoir un avenir prometteur et rassurant. Stable et équilibré.

J’étais instruit et capable de faire de grandes choses. J’aurais pu m’exprimer et prendre de grandes responsabilités.

Mais voilà, il y a eu ce soir de novembre !

Je n’ai même pas eu le temps de me trouver une gentille copine. Peut-être que si je l’avais trouvé, ma vie aurait été différente… Qui peut savoir ?

Je sais maintenant que l’on peut mourir par bêtise et par fierté.

 

Dès la Primaire, j’étais un élève brillant. Je me suis toujours fait remarqué par ma vivacité, ma curiosité et par mon imagination. Tout me plaisait et je m’ouvrais sur tout !

Au lycée, c’était pareil. Les professeurs m’aimaient bien. J’apprenais correctement et mes notes étaient bonnes. Tout me réussissait et j’avais un niveau bien au dessus de la moyenne. Mes professeurs avaient confiance en moi et m’adulaient. J’aimais ça !

 

N’y voyez pas de prétention de ma part dans mes propos…

Aujourd’hui je suis mort. J’ai donc le droit d’être lucide sur moi-même !

 

Peu d’élèves m’aimaient et la majorité me détestait carrément !... Beaucoup étaient jaloux de moi.

Mon meilleur ami profitait largement de moi. C’est vrai que j’étais trop naïf. J’avais un bon cœur. Vous ne pouvez pas savoir combien de fois je me suis fait avoir !

Mais Bof... je n’y voyais pas le mal.

Après mon BAC, j’avais commencé une Licence en communication et marketing…

Dans la publicité, quoi !

J’avais eu sans problème ma Licence au bout de trois années.

Puis j’avais attaqué et réussi un Master en marketing.

Je me sentais près pour la grande aventure de la vie !

Par contre, le problème « relationnel » avec les filles était secondaire. Ce n’était pas exactement ma priorité. Je n’avais jamais eu de flirt ni de petite amie.

Si j’avais su !

Bref…

Un jour, un vieil ami de mon grand-père, qui avait travaillé dans une grande société de communication et de publicité évènementielle, comme technicien sur des machines à reproduire… m’a recommandé gentiment auprès du Directeur adjoint, Monsieur LEGARRET, qu’il avait bien connu.

J’ai été convoqué… et pour lui faire plaisir… j’ai été embauché comme stagiaire.

Cependant, il n’y avait pas de poste à pourvoir. Alors on m’affecta en attendant mieux, au service de la communication.

En fait, je me tapais à longueur de journée les corvées de photocopies de toute la Direction, du secrétariat et de la comptabilité réunis. Je courais partout et dans tous les sens... Je n’arrêtais pas un seul instant. Pas de poses, je photocopiais... Je photocopiais !... Tout était urgentissime !

Pas le temps, bien évidemment dans ces conditions, de lier une quelconque connaissance avec des collègues… voire des collègues filles !

Malgré tout, les journées passaient rapidement.

Souvent, la Direction et la secrétaire restaient assez tard pour avancer le travail. Alors, il fallait que je sois là !... Ils me faisaient faire des heures. Serait-ce, pour servir le café.

Sans être fataliste, je pensais que je devais passer par cette étape là… Que c’était comme une sorte d’épreuve et de passage obligé. Afin, certainement… de connaître mon courage, ma disponibilité et ma motivation.

Et qu’après cette période, ils reconnaîtront sans aucun doute, mes mérites et mon savoir… Alors, je pourrais faire autre chose de plus intéressant.

Je rongeais mon frein et je tentais de contrôler mon impatience.

Un après-midi de jeudi, l’ami de mon grand-père, celui qui m’avait pistonné… me croisait dans la rue centrale de la ville. Il me demandait ce que je faisais comme travail.

Je lui expliquais que j’avais été embauché et que mon travail… ou plutôt « ma mission » était au service de la communication. Aux photocopies plus précisément… et que cela perdurait depuis plus de cinq mois… Et que, malheureusement pour moi… tout ceci n’était pas en rapport avec mes diplômes et mes connaissances. Il avait l’air surpris et très déçu.

Il m’avait dit qu’il irait voir son ami Directeur LEGARRET pour lui parler.

 

Le lundi qui suivait… J’étais convoqué par mon chef de service.

Il me demandait si je me plaisais dans cette société et si j’aimais ce que je faisais…

Malgré mon étonnement, je répondais très franchement ce que je pensais, tel un jeune coq ambitieux. Je lui rappelais ma licence et mon master à l’université, mes objectifs, mes connaissances et mes préférences.

Tandis que je m’efforçais de le convaincre et pendant que je parlais… il répétait sans cesse « Bon… Bien… Bon… Bien…». Il semblait comprendre ce que je tentais de lui expliquer.

— Ecoutez jeune homme… J’ai écouté attentivement tout ce que vous aviez à me dire... et je comprends votre situation. Aujourd’hui nous sommes lundi. Demain, je pars pour Marseille… Je serais de retour dimanche. Venez me voir lundi à 10 h. J’aurais peut-être quelque chose de plus intéressant à vous proposer.

Je le remerciais, tout en rajustant du bout de l’index mes lunettes trop lourdes, et étouffant avec peine le feu qui me brûlait au creux de ma poitrine.

Ouf !... Peut-être en aurais-je fini avec ces photocopies obsédantes. J’en faisais des cauchemars !

En attendant… Je retournais à mon labeur, à mes courses et à mes corvées.

J’avais hâte d’être à ce lundi.

Je me rappelle que la fin de semaine et que le week-end m’avaient semblés plus longs qu’à l’habitude. Malgré avoir passé tout le samedi à mes éternelles corvées… Cela devenait de plus en plus difficile à vivre, car tout s’embrouillait dans ma tête.

 

Enfin… Je m’étais rendu à ce rendez-vous de ce lundi 10h.

Mon cœur c’était mis à battre très fort dans ma poitrine et l’excitation montait.

J’avais dû attendre 30 mn dans le couloir, avant que le Directeur daigne m’appeler.

— Pardonnez-moi… J’ai été retardé par de petites choses à régler.

Il me prie d’entrer et de prendre place dans l’un des deux petits fauteuils en bois, faisant face de son bureau.

Bien. Dit-il, en s’installant confortablement dans son grand fauteuil de cuir noir.

Ce que vous m’avez expliqué lors de notre dernière rencontre m’a fait réfléchir.

J’avais déjà une petite idée… et aujourd’hui, voilà ce que je vous propose :

Lorsque vous avez été engagé comme stagiaire chez nous, c’était d’abord pour faire plaisir à mon ami. Mais j’avais un problème important… je n’avais pas de place disponible. C’est pour cela que l’on vous a mis à la photocopie.

Aujourd’hui, il y a une possibilité qui s’offre à nous.

Vous nous avez montré que vous étiez patient, courageux, efficace, disponible et intelligent. Vos diplômes peuvent servir la Société. Aussi, je vous propose dans un premier temps, de vous établir un contrat pour une durée déterminée… Puis, dans un deuxième temps, selon la qualité de votre travail, nous envisagerons de vous faire un contrat plus sérieux, afin que votre carrière professionnelle au sein de notre entreprise puisse être évolutive et brillante.

Fébrile, je l’écoutais attentivement. Qu’allait-il me proposer ? Il poursuivait :

— Nous allons créer un poste d’assistant au service markéting et de la publicité évènementielle.

Actuellement, une femme, Mademoiselle Marie Cécile, tient la responsabilité de ce service.

C’est une femme très efficace et dynamique… mais elle ne peut plus assurer seule toutes ces responsabilités. Elle est chargée de trouver des thèmes de publicité, de créer des photos et des vidéos, afin de promouvoir, de conseiller, de servir nos partenaires sur les investissements et sur les possibilités d’évolutions de leurs sociétés.

Elle vient d’être nommée à ces nouvelles fonctions… et un assistant lui serait très utile.

Vu la qualification que vous avez… j’ai pensé à vous.

Seriez-vous intéressé par ce poste ?

A fur et à mesure que le Directeur parlait… Je me voyais parfaitement bien dans mes nouvelles responsabilités… et c’est sans réfléchir que je répondis « Oui ».

— Hé bien, c’est d’accord... Vous avez le poste ! Avait-il dit, satisfait.

Ma secrétaire va vous conduire immédiatement dans ce service… Elle vous présentera à votre nouveau chef de service, qui vous expliquera ce que l’on attend de vous.

Mademoiselle De LAGRAPILLE Marie Cécile vous attend.

Puis vous irez ensuite voir le chef du personnel, qui vous guidera dans toutes les démarches et formalités administratives.

J’avais la forte impression que ma vie prenait un tour formidable, et que ce poste pouvait être un tremplin à ma carrière. C’est ce dont j’avais toujours rêvé !

J’avais eu le sentiment d’avoir bien fait d’être patient… C’était bien une épreuve que la vie m’imposait.

 

Mademoiselle Marie Cécile m’attendait dans son grand bureau… Elle m’accueillait rapidement et sèchement, presque distante, sur un fond d’autoritarisme.

J’étais, je vous l’avoue, un peu déçu de la froideur de l’accueil.

Je me présentais et je commençais à lui raconter ce que le Directeur m’avait dit… mais elle me coupa en me disant qu’elle savait déjà tout cela… Qu’il l’avait convoqué une heure avant, ce matin même !

Elle ne voulait pas d’assistant. Elle se suffisait à elle-même… mais le Directeur avait insisté, pour finalement lui en donner l’ordre. Ce qui apparemment, ne lui plaisait guère !

Bref… elle m’expliquerait par conséquent, ce que je devrais faire et ce qu’elle attendait de moi.

 Comme il avait une table libre sur quatre, dans la grande pièce qui donnait à son propre bureau… ma nouvelle chef m’invitait à m’y installer.

Trois autres collègues étaient présents. Deux hommes et une jeune femme, silencieux, s’appliquaient pour se concentrer à leurs besognes, n’osant pas lever la tête.

Elle n’avait pas jugé utile de faire les présentations.

Il y avait tout ce dont j’avais besoin. Une table suffisamment grande… du rangement, un grand ordinateur avec un grand écran de marque et autres matériels et objets utiles à la création.

Seul inconvénient, il était dans le fond de la pièce, dans un renfoncement, loin de la fenêtre la plus proche. Bref… l’endroit le plus sombre.

Mais bon… il y avait une lampe de bureau. Et puis, point besoin de trop de lumière lorsque l’on travail devant un écran.

Même si l’accueil avait été sec et pratiquement nul… j’étais heureux d’avoir obtenu un tel poste.

 

Le reste de la journée m’avait servi à m’installer et à prendre mes premiers repères.

De toute façon, ma chef était indisponible, car elle aussi devait prendre ses marques, recevoir des ordres et commencer à prendre ses premières responsabilités du poste.

J’avais également profité dans l’après-midi, d’établir les formalités d’usages avec le chef du personnel et avec ses secrétaires-comptables.

Ma chef étant toujours indisponible… J’avais eu un peu de temps pour papoter un peu avec mes nouveaux collègues sur l’ambiance du bureau.

Il y avait Gérard, la quarantaine… Il s’occupait du matériel et de l’intendance… Jérémy, 27 ans, établissait les plans… et Aude, la trentaine, servait tout à la fois de secrétaire et de comptable pour chaque création. L’équipe semblait sympathique. Mais je sentais qu’ils avaient peur et qu’ils n’étaient pas à leur aise.

Quant à Marie Cécile… De LAGRAPILLE… surnommée tout naturellement la « Grappilleuse » par toute l’entreprise… elle était bien connue de tous ses collègues et elle ne semblait être sérieusement bien protégée. Autoritaire, rigide, souvent agitée, prétentieuse, parlant haut et fort… très fière de sa personne, n’écoutant pas les autres… Elle avait tout fait, tout vue et tout vécue !

Marie Cécile, élevée en petite bourgeoise, serait arrivée dans la société par piston.

Elle était la fille d’un gros actionnaire de cette même société… donc, très proche du Président. Elle aurait eu même une aventure amoureuse cachée avec l’un de ses Directeurs. Ce qui pouvait être possible, vu le personnage.

C’est une femme qui avait toutefois du charme, bien faite et qui était très ambitieuse. A l’aise partout, élégante et chic… voire, sophistiquée… et elle en jouait. Célibataire, la quarantaine passée… Elle disait qu’elle en avait que trente cinq… et réputée d’avoir un caractère fort et de n’avoir pas froid aux yeux.

Pourtant, les études n’avaient pas été son fort. Elle avait redoublée sa seconde et sa première au lycée. Puis, elle avait tentée une école de management, sans succès. Ensuite, une école de commerce et de marketing… Trop haut pour elle… elle avait aussi abandonnée.

Son père lui aurait trouvé alors, une place comme hôtesse d’accueil dans une maison de culture d’une grande ville voisine. Mais son ambition ne correspondait pas à ce qu’elle faisait et elle abandonnait là encore, ce travail au bout de quelques mois.

Elle avait pourtant eu, par calcul… une aventure amoureuse avec le directeur artistique, mais cette relation serait restée sans effet.

Après ces échecs répétés, son père la pistonnait auprès de son ami le Président Directeur Général STONNER… qui, lui-même l’avait envoyé vers le Sous Directeur LEGARRET.

C’était donc sans bagages ni formation qu’elle commençait sa carrière.

Le fait qu’elle soit devenue très rapidement la maîtresse du Sous Directeur, lui aurait facilité la tâche, malgré les avis négatifs de tous ses collaborateurs.

Après être restée pendant presqu’une année dans le service de la communication, où elle avait déjà un rôle de responsable… sans grand succès d’ailleurs… Elle avait été basculée à ce nouveau poste comme grande responsable du markéting… toujours par piston.

En fait, je commençais à comprendre pourquoi il lui fallait un assistant !... Elle ne connaissait rien de rien au métier si particulier de ce monde de la publicité !

Je me disais alors que cela ne serait pas triste de travailler avec elle… ni facile d’être son assistant ! 

Mon travail consistait, en principe… à assister Mademoiselle dans ses travaux. C'est-à-dire, de la seconder en recherchant tous documents et solutions pouvant l’aider dans sa tâche.

Mais très vite, je m’étais rendu compte qu’elle n’avait pas d’idée et qu’elle était totalement incompétente. Il fallait que je lui mâche sans cesse, tout le travail.

Pour les thèmes de publicité déjà créés, c’était plus simple pour elle de continuer le projet en cours.

Mais c’était tout autre chose lorsqu’elle devait inventer ou imaginer un projet complet de campagne publicitaire pour une société. Là, elle semblait perdue et démunie.

Lorsqu’elle me présentait un projet avec son cahier des charges… je voyais très vite quelle direction il fallait prendre et des idées me venaient très rapidement.

Alors, au début, je la conseillais juste un peu… Juste pour la guider et la mettre sur la bonne voie. Malgré mes conseils, elle n’y arrivait pas… et rien ne sortait de son cerveau. Alors, j’allais plus loin dans mes explications.

 

Un jour, lors d’une création évènementielle… Je la sentais totalement dans le brouillard et incapable de comprendre, ni de créer quoi que ce soit… Elle me donna l’ordre de me débrouiller tout seul et de lui présenter un projet qui tiendrait la route.

Pour moi, c’était facile. J’avais des idées fusaient à chaque seconde !

Je lui présentais quelques jours plus tard, le projet qu’elle trouvait intéressant. Elle s’était alors saisie de mon dossier et de mon idée… et elle avait disparue. Très certainement pour le présenter à son directeur.

Au bout de deux heures, elle était revenue heureuse et radieuse dans le bureau en me disant que je pouvais travailler sur l’élaboration de ce projet, l’affiner et de le mettre en marche.

 

A chaque aboutissement d’un projet, je la voyais s’agiter dans tous les sens, tout en parlant à haute voix, allant d’un bureau à un autre.

La Grappilleuse amusait tout le monde. Sauf moi.

Chacun d’entre-nous savait qu’elle était incompétente et que finalement, elle ne faisait rien de constructif. Elle prenait une place d’une personne plus capable. Je trouvais cela injuste.

 

A chaque projet, c’était moi qui prenais tout en charge. Je devais m’occuper de tout… de la création au produit fini… à l’étude matériel et financier.

Elle repartait à chaque fois très excitée, avec le dossier sous le bras… toute excitée, pomponnée, maquillée comme un mannequin, pour aller présenter mon travail qui devenait « Son » projet !

Jamais je n’avais eu de compliments de sa part.

Elle estimait tout simplement que je faisais mon travail… et elle me rappelait sans cesse que c’était juste mon rôle en tant qu’assistant. Que j’étais là pour la servir et qu’elle était là pour diriger.

Mes collègues voyaient bien la tournure des choses… Mais par peur ou par hypocrisie… ils préféraient se taire en baisant les yeux.

Dès que quelqu’un avait le malheur de la contredire ou de s’opposer à elle… elle rentrait dans des excès de colères et dans une excitation extrême. Telle une furie, elle devenait insolente et vulgaire… nous promettant la punition fatale de la direction.

 

Pendant ce temps là, je trimais comme un fou.

Comme j’avais le don de la création et de l’organisation, je passais tout mon temps au travail. Régulièrement, je faisais des heures à en ne plus finir. Je rentrais chez moi fatigué, épuisé et vidé. Même mes week-ends, je les passais à travailler lorsqu’un projet était en cours.

Alors qu’elle… Prenait toujours ses week-ends, en se baladant avec ses amants d’un jour.

Je n’ai jamais eu de remerciements. De personne et surtout pas de sa part.

C’est vrai que je n’en demandais jamais… Je faisais mon travail et ça me plaisait.

Certes, je n’avais pas le salaire de Mademoiselle… mais, j’en avais un !... et c’était pour moi le principal.

 

Un jour, Monsieur LEGARRET décrocha un gros contrat.

Il fallait étudier une campagne de publicité complète et en urgence, pour lancer une toute nouvelle voiture de prestige aux techniques révolutionnaires sur le marché, pour une grande marque de luxe.

Il y avait un gros budget à la clé.

Dans un premier temps, elle était fière et très heureuse quand le Directeur lui remit le dossier en main.

Mais une fois arrivée dans son bureau… elle commença à déchanter. Plus elle parcourait le dossier… plus sa tête changeait. Elle devenait livide et elle n’arrêtait pas de gesticuler nerveusement sur sa chaise. Parfois, elle se levait… Tournait autour de son bureau en marmonnant des tas de mots inaudibles, réajustait sa jupe courte trop serrée et reprenait place. Elle fermait puis rouvrait le dossier.

Bref… elle perdait totalement pied.

Au bout de quelques minutes de soupirs, les coudes appuyés sur le bureau, tout en replaçant nerveusement de sa main droite une mèche de cheveux rebelle… Elle m’appelait !

— BENOIT !

Elle s’était mit à crier si fort, que l’étage et même peut-être le rez-de-chaussée, avaient dû l’entendre. Tous mes collègues de bureau la regardaient pousser son délire.

Lorsque je me présentais à son bureau, elle leva les yeux vers moi et me dit :

— Benoit… étudiez-moi ce dossier. C’est très urgent. Faites-y attention… il est très important pour la société. AU TRAVAIL !

Je récupérais le dossier, tournais le dos… puis, elle rajoutait :

— Je veux des propositions claires et précises dans deux jours ! ALLEZ !

Je n’avais marqué qu’un temps d’arrêt, toujours le dos tourné. Je n’avais pas bronché… pas dit un mot. Je connaissais le principe. C’est encore moi qui allais devoir faire tout le boulot à sa place.

Cette situation commençait sérieusement à me peser… Je trouvais cela de plus en plus injuste. Car, c’est toujours elle qui avait tous les honneurs des patrons. Je commençais à en avoir marre !

Je m’étais mis au travail contraint et forcé.

La campagne était très complexe. Beaucoup de précisions et d’exigences.

Ce travail de recherche me plaisait beaucoup. Il fallait trouver un slogan, un style, une image, des annonces, des vidéos, une ambiance, des couleurs… et tout ce qui était nécessaire dans un tel cas.

Il y avait un gros budget… donc, plus de liberté. C’était tout ce que j’aimais.

 

Le lendemain matin, j’étais en plein travail d’études dès la première heure… Quand la Grappilleuse s’était placée devant ma table, toute droite en croisant les bras.

— Benoit… Vous allez devoir continuer sans mon aide. Je dois m’absenter.

J’ai un déplacement à faire très important. Je dois revenir dans quelques jours.

A mon retour, nous étudierons vos propositions.

 

Et allez donc !... Dans quelques jours… mon œil !... Elle ne serait pas là avant le lundi.

Ceci dit… pendant ce temps là, elle me foutrait la paix.

Bon voyage. Pensais-je alors.

Qu’allait-elle faire et où allait-elle ?... Quel était ce déplacement si important, surtout en pleine étude de campagne ?... Elle faisait vraiment n’importe quoi cette fille !

Peu importe. J’avais un travail sérieux à réaliser.

Je m’y mettais à fond.

A fur et à mesure que je lisais et que j’étudiais le dossier… je prenais des notes.

Des idées m’arrivaient par dizaine… Je mettais tout sur papier. Gribouillages et dessins précis, avec explications écrites.

En deux jours complets, j’avais trouvé des idées et des concepts pour toute la campagne.

J’étais fier de moi.

 

Le troisième jour, en fin de matinée… profitant que Mademoiselle n’était toujours pas là, j’allais voir le Directeur, qui avait pu me recevoir sans problème.

J’avais pris tout le dossier avec mes idées et mes propositions.

Je lui exposais un à un tous les points de la campagne.

J’avais eu un gros succès.

Il avait même convié ses plus proches collaborateurs, afin de recommencer mon exposé et mes explications devant toute l’assemblée réunie. Ils m’écoutaient attentivement dans le silence.

Je les avais tous convaincu et le Directeur me félicitait encore et très chaleureusement.

Pour montrer leurs approbations, ils ont tous applaudis. Ça m’avait fait énormément plaisir et j’avais été touché de ce succès.

Le Directeur m’avait demandé si ce travail était de Mademoiselle Marie Cécile… Si elle était d’accord pour que je présente ce projet, seul… et je lui avais répondu que oui, bien entendu.

Cependant, je pensais qu’au fond de lui, il doutait… Il doutait qu’elle ne pouvait pas avoir réalisé tout ce travail de recherche complexe, seule. Il la connaissait.

J’avais répondu que j’avais fait mon travail en tant qu’assistant.

Information importante… il ne savait pas que la demoiselle était partie pour quelques jours.

Je lui avais dit qu’elle avait été obligée de s’absenter quelques heures pour une chose urgente… et que je devais présenter les projets à sa place, si elle n’était pas rentrée à temps. Je n’avais rien dit de plus.

En fait… Je savais, ainsi qu’un de mes collègues qui l’avaient vu le soir même, par hasard… qu’elle était parti rejoindre un nouvel amant… un collègue d’un autre service.

J’ai donc profité de cette occasion, pour me faire valoir et recevoir à sa place tous les mérites.

Le Directeur était content et me donna l’ordre de commencer le travail immédiatement.

Lorsqu’elle rentrerait, tout serait sur des rails et je contrôlerais moi-même l’évolution de la campagne.

 

La Grappilleuse était déjà à son bureau, les traits tirés, quand je suis arrivé le premier le lundi, vers 7h55.

Dès qu’elle m’avait vu, elle m’appelait immédiatement comme à son habitude… C'est-à-dire : haut et fort.

— BENOIT !

— Oui… J’arrive !

— Alors ?… Cette campagne ?… Avez-vous travaillé ?... Où en sont les propositions ?... J’attends !

— Mademoiselle… la campagne va bien…

Et vous ?... avez-vous passé un bon séjour ?

— Mais… Mais, qu’est-ce qui vous prend ?... ça ne vous regarde pas !

Devenue rouge  de confusion en une seconde, visiblement troublée… Elle commençait à rentrer dans une colère presque hystérique.

— Vos propositions ?... Où sont vos propositions ?... J’ATTENDS !

— Hé bien Mademoiselle… J’ai effectivement travaillé… et je suis allé moi-même présenter tout le concept de la campagne de publicité à Monsieur le Directeur, ainsi qu’à ses principaux collaborateurs.

— COMMENT ?

— Vous m’avez bien entendu… Le Directeur a approuvé mon travail… ainsi que ses collaborateurs. Ils ont acceptés mes propositions, et Monsieur le Directeur m’a ordonné de commencer le travail.

— COMMENCER LE TRAVAIL ?

Elle répétait machinalement mes mots en bégayant. Elle était folle de rage.

Elle s’était levée brusquement et tournait nerveusement autour de son bureau en faisant de grands gestes maladroits… J’étais resté debout, très calme.

— COMMENT AVEZ-VOUS OSE ?... C’EST A MOI DE PRESENTER TOUTES LES PROPOSITONS !

— Vous n’étiez pas là… et c’était urgent.

— C’EST A MOI D’EN DECIDER !

La suite n’avait été qu’une succession d’injures et de noms d’oiseaux divers.

(Ça ne va pas se passer comme ça !) Marmonnait-elle tout bas.

VENEZ AVEC MOI, IMMEDIATEMENT !... On va chez le Directeur.

Métamorphosée en furie, elle entrait sans frapper chez le Directeur LEGARRET.

Je la suivais calmement, heureux de mon coup. Je savais que ça allait péter !

Elle lui expliquait que c’était inadmissible… que c’était une faute professionnelle…

Et tatati et tatata !

Tout y passait ! Elle me chargeait sans aucun scrupule, prétextant que c’était elle qui avait tout créée.

— Mais où étiez-vous ? Demandait le Directeur.

— Hé bien… j’étais… J’étais… Visiblement très embarrassée.

— Bah… Pas la peine de me répondre. Reprit-il.

Benoit m’a déjà expliqué pour votre absence urgente.

— Ha bon ?...

— Oui. Il m’a même dit que vous étiez d’accord pour qu’il présente lui-même le projet de la campagne.

Ce qu’il a fait très bien… Il a fait une excellente présentation et un très bon exposé.

— Mais… Mais c’est faux !... C’est mon travail !... Ce n’est pas le sien !... C’était à moi de le présenter !... Je ne lui ai jamais autorisé de le faire à ma place !

J’exige qu’il soit puni !... METTEZ-LE DEHORS !... JE N’EN VEUX PLUS !

Elle n’en pouvait plus.

J’avais même cru un instant qu’elle allait lui faire le coup de l’évanouissement… Mais non.

Alors… le Directeur s’était mis à réfléchir longuement en se grattant la tête de ses gros doigts.

— C’est beaucoup quand même… C’est un bon élément.

— JE M’EN FOU !... VIREZ-LE !

— Je vais y réfléchir Marie Cécile..

Maintenant sortez Monsieur Benoit.

Je vais décider de votre sort qui est grave, croyez-moi.

 

Restée seule avec le Directeur, elle avait due tout faire pour le convaincre afin qu’il me vire.

Elle ne se rendait pas compte qu’en me virant, elle n’aurait plus personne pour faire son travail. Du moins, pour un temps, car personne n’est irremplaçable. J’en étais conscient.

La folle était restée longtemps avec le Patron. Ils s’étaient certainement rabibocher et repartir pour une autre aventure. Elle était maline la bougresse.

La sentence est tombée dès 14 h.

C’était elle, qui m’avait annoncée toute heureuse, que j’étais viré définitivement et que je devais aller voir le Directeur avant de partir. Ce que j’avais fait.

Je ne m’étais pas rendu compte sur le moment de l’importance de ce renvoi injuste.

J’en avais pris vraiment conscience en quittant le Directeur.

J’étais renvoyé pour faute grave. Donc sans indemnité. J’allais toucher quand même mon pauvre salaire de stagiaire et je devais quitter la société immédiatement.

J’étais incapable de réagir. Je ne comprenais pas vraiment la situation.

Fortement déçu de toute cette ambiance d’hypocrites et du comportement désastreux de cette folle magouilleuse et incompétente.

Je trouvais tout cela injuste, parce que c’était moi qui avais fait tout le travail… Des recherches à la réalisation finale.

Elle… Elle ne faisait jamais rien… jamais une idée pour le bien de l’entreprise !

Elle « bullait » à longueur de journée… Paradant en roulant des hanches dans ses jupes courtes et serrées… Papotant d’un bureau à l’autre, à tous les étages… Jouant la chef fofolle qui avait mille occupations et qui donnait toujours l’impression d’être débordée !

Personne ne doutait de son incompétence… mais ils n’osaient rien faire contre elle. Elle était couverte et protégée par le Directeur. Alors forcément,  Ils se taisaient et ils ne voulaient pas témoigner.

 

Quant à moi… je me retrouvais sans travail… Avec un trésor de guerre bien mince.

J’étais découragé.

On m’avait viré à cause d’une folle tarée, paresseuse et bête. Bête, et méchante par-dessus le marché !

Avec tout ça… Je ne pourrais plus suivre le déroulement de la campagne de publicité que j’avais mis sur pieds et qui me passionnait tant… J’en étais l’auteur et j’avais tout créé.

Beau résultat !

J’aurais pu certainement m’y prendre autrement.

Je n’avais pas bien réfléchi aux conséquences de ces actes.

Je voulais la punir !... Lui donner une leçon !... C’était tout !

Je voulais que tout le monde puisse se rendre compte de mon travail. Pour que l’on me reconnaisse en tant que vrai créateur et véritable inventeur d’idées !

A cause de mes bêtises, on m’avait rejeté. J’avais été accusé de trahison… d’incompétence. Ils avaient dit sur moi des choses calomnieuses et mensongères… et fait des critiques injustifiées.

Tout ça, pour couvrir une bonne à rien, tout juste bonne à se faire sauter par le premier idiot venu !... Son seul but était de nuire à ma réputation en se fichant totalement de mon honneur et de mon avenir ! 

J’avais beaucoup de peine à accepter cette situation.

J’avais agi contre moi et contre mes propres intérêts.

J’avais tellement de possibilité… Tellement de potentiel.

Je n’avais pas suffisamment réfléchi !

Il m’aurait fallu plutôt attendre qu’elle fasse une grosse erreur… et que tout le monde voit !...

C’est elle qui aurait été virée… et la direction aurait certainement eu de la compassion à mon égard.

C’est tout le contraire qui c’était passé.

Je n’avais pas assuré sur ce coup là… Mon intuition si souvent intelligente, m’avait fait défaut !

 

Je me retrouvais seul dans mon petit appartement d’une pièce, abandonné de tous.

Je n’avais plus l’habitude de m’y retrouver.

Habituellement je ne faisais que passer et pour y dormir. Quoiqu’il m’était arrivé de dormir de nombreuses fois sur mon lieu de travail, dans les fauteuils de la salle d’attente.

Je me retrouvais en chômage.

J’avais loupé un travail qui me collait parfaitement. J’aurais pu, grâce à mes talents, devenir quelqu’un.

J’étais en colère… Une colère sourde et muette.

Ce genre de colère que l’on étouffe, que l’on garde au fond de soi. Une colère qui fait mal. Une colère qui déchire le corps et l’âme. Qui donne l’envie de crier à s’en éclater les poumons… mais, où rien ne sort !

Je n’avais personne à qui me confier. Même pas une petite amie.

La Société et la folle ne m’ont pas permis d’accéder à une vraie vie professionnelle.

Je n’avais jamais eu le temps de m’installer et de suivre le train normal de la civilisation actuelle… de profiter des joies et des plaisirs au quotidien.

Finalement, je n’avais jamais été libre.

Pourtant, cette fois, j’y étais… libre !… Et totalement découragé.

 

Les journées passaient sans que je m’en rendre compte.

Je restais terré dans ma tanière, comme un vieux loup rejeté par les siens.

Je n’avais plus envie de faire quoi que ce soit.

Je restais affalé dans le lit.

Ce lit me servait de cuisine, de table à manger et bien évidemment, pour dormir.

Je me levais que pour aller aux WC.

Je ne me lavais plus, ne me rasais plus et je m’étais remis à fumer.

Au début, je lisais un peu et je regardais la télévision… Mais plus les jours passaient… moins je lisais et plus je me désintéressais de la boite à images. Elle restait constamment allumée pour rien. Je ne la regardais plus et je ne l’entendais plus.

La chambre était envahie de mauvaises odeurs… Odeurs de renfermé, de fumée, de bouffe… A l’armée, on aurait dit que ça sentait le bouc !... C’était peu dire !

Mon corps tout entier sentait la sueur et la crasse. Mais cela ne me gênais pas. Je n’y faisais plus attention… mon esprit était ailleurs.

Je passais des journées entières dans le lit, à moitié nu en chien de fusil dans des draps humides et collants, sans rien faire.

Le téléphone fixe ne sonnait plus. J’étais oublié de tous.

Parfois… je regardais autour de moi… je contemplais ma chambre qui était devenu un vrai désastre. On aurait dit un champ de bataille !... Qu’elle avait subie un coup de grisou !

Et là, je me mettais à pleurer. Je pleurais comme un enfant, avec de gros sanglots et de grosses vraies larmes. J’avais très mal dans la poitrine et j’avais une grosse boule dans la gorge.  Cela pouvait durer assez longtemps.

Puis, lorsqu’enfin, j’arrivais à me calmer… Je reprenais mon rôle d’ermite abandonné et rejeté du monde des vivants… Je me remettais à vivre au ralenti, les pensées négatives dans un tourbillon lancinant.

 

Aujourd’hui… lorsque je me rappelle tout cela… je me rends compte que j’étais en pleine dépression !

Et cette terrible dépression m’avait tenaillée depuis très longtemps. Bien avant d’avoir été mis dehors.

Et c’était certainement pour cette raison que je n’avais pas réagi.

 

Trois longs et terribles mois passèrent… sans aucune visite… et sans aucun coup de téléphone.

J’étais descendu deux ou trois fois dans la rue, uniquement pour y faire des courses… J’avais besoin de nourriture, de bières et de cigarettes.

La télévision était tombée en panne depuis deux ou trois semaines. Mon téléphone portable était déchargé depuis longtemps et je m’en foutais. Je survivais dans le silence. Je n’entendais même plus les bruits de mes voisins ni les bruits de la rue.

J’étais recroquevillé dans mes loques, comme à l’habitude…

Lorsque soudain, le téléphone fixe s’était mis à sonner !

Je sursautais... Surpris. Je n’avais plus l’habitude et j’en avais même oublié le son !

J’avais mis un moment avant de réagir…

Le téléphone sonnait, sonnait…

Puis, essayant de me démêler de mes draps devenu poisseux et collants, je réussissais à empoigner le téléphone fixe qui émergeait d’un tas de foutoir, non loin du lit.

Je décrochais l’appareil et je le portais avec maladresse à mon oreille.

Les cheveux en pétard, une barbe parsemée de trois mois, la bouche épaisse et pâteuse, une haleine de chacal, les yeux rouges ensablés et un mal de crâne assourdissant.

Faut dire mes chers amis lecteurs… que j’avais pas mal fumé et ingurgité un certain nombre de canettes de bière bon marché.

Mon cerveau piégé et englué, tournait forcément au ralenti.

— Oui… Allo ?

J’entendais une faible voix qui disait :

— Mons… Monsieur Benoit ?... Vous êtes bien Monsieur Benoit ?

— Heu… oui… Que me voulez-vous ? J’étais étonné de cet appel.

— Bonj… Bonjour… Je… Je suis… Mademoiselle De LAGRAPILLE.

— Qui ça ? Je n’arrivais pas à identifier ce nom.

— De La Grap… Non… Je suis la Grappilleuse !... Vous vous rappelez ?... Marie Cécile ?

— Ha oui !… Je me rappelle de vous… la folle hypocrite... la bêcheuse incompétente ?

— Heu… oui… c’est cela… c’est… C’est bien moi.

— Et alors ?… que me voulez-vous ?...

Vous savez… si c’est pour m’enfoncer encore plus, ce n’est plus la peine !... Je touche le fond et je ne peux plus aller plus bas !

— Non… non. Rassurez-vous Monsieur Benoit. Je voulais avoir de vos nouvelles…

Disait-elle un peu gênée.

— Vous m’appelez « Monsieur » Benoit maintenant ?... Alors qu’avant, vous me traitiez comme un vulgaire esclave ?... Qu’est-ce qui vous prend ?

— Rien… Non rien… Rassurez-vous... Je souhaitais vous parlez, tout simplement.

 Je ne viens pas vous insulter.

— Me parler de quoi ?... De tout le mal que vous m’avez fait ?

— Non… C'est-à-dire que… Oui, je le sais… Je voudrais que vous puissiez me pardonner… Monsieur Benoit… Je voudrais que l’on reparte sur de meilleures bases.

— De meilleures bases ?… Qu’est-ce que vous chantez ?... Vous vous foutez de moi ?

A cause de vous, j’ai tout perdu !... Un travail qui me plaisait… et vous m’avez volé mon avenir !

Repartir sur de meilleures bases... Mais que voulez-vous dire ?

— Oui… que nous repartions sur des bases plus solides !

— Expliquez-vous !

— Oui… Tout d’abord… comment allez-vous ?

— Qu’est-ce que cela peut vous faire ?... Venez-en au fait !

— Oui… Hé bien, voilà… Ce n’est pas facile vous savez.

— Pour moi non plus.

— Bon… Oui… Bon… Voilà… J’ai besoin de vous !

— Besoin de moi ?

— Oui, Monsieur Benoit.

Soudain, elle semblait avoir reprise de l’assurance.

— Comment ça ?

— Je vous explique. Ecoutez-moi… je vous en prie, écoutez-moi.

Et là, elle était partie dans des explications scabreuses, où elle s’excusait d’avoir été si injuste et si méchante avec moi… Qu’elle reconnaissait tous ses tords… Qu’elle n’aurait jamais due faire ça… Que j’étais quelqu’un de bien et de doué… Que j’avais du talent… Et que sans moi, l’entreprise avait perdue beaucoup… etc, etc.

Je l’écoutais sans trop comprendre, car elle parlait vite et sans respirer…

Ce revirement d’opinion sur moi et sur la situation me semblaient louche… Etait-elle vraiment sincère ?... Et pourquoi me demander pardon si tardivement ?

— Allez au fait… Venez-en au fait !

— Me pardonnez-vous Monsieur Benoit ?

— Je ne sais pas… et arrêtez de m’appeler Monsieur !... ça m’énerve !

— Je comprends… D’accord !

Je voulais vous dire que je reconnaissais mes torts lors de cette grande campagne de publicité pour une grande marque automobile… C’est vous qui méritiez d’avoir tous les honneurs… C’est vous qui aviez fait toutes les créations et l’élaboration de toute la campagne.

Moi, j’en étais incapable !... Je n’ai jamais su !... Je ne pouvais pas !

Aujourd’hui, sans vous,  je vous avoue que j’ai beaucoup de mal à assurer.

Certes, j’ai eu un nouvel assistant… mais il n’est pas comme vous. Il est lent, sans imagination et sans talent… Alors que vous, c’était bien différent !

— Bah, évidement… c’est moi qui assurais tout votre travail… tous les marchés et qui avait toutes les bonnes idées… et c’est vous qui avez tout reprise à votre compte !

Vous êtes qu’une usurpatrice, une voleuse, une menteuse et une hypocrite !...

Vous n’avez pas cessé de m’humilier !

— Vous avez raison… mon cher Benoit. Je reconnais tout cela… J’avais tord, et je vous en demande pardon !... Je suis la seule coupable et je veux me racheter. Je m’en veux de vous avoir fait autant de mal. Je veux faire quelque chose pour vous… Je veux vous donner une seconde chance !

— Me donner une seconde chance ?... Vous ne manquez pas de culot !

— Oui… Une seconde chance !... Je vous explique :

Depuis votre départ de l’entreprise… voyant que je m’en sortais plus, le PDG, Monsieur STONNER, s’est rendu compte qu’il y avait quelque chose de douteux me concernant… et concernant également les créations.

Une enquête a été faite, et il a découvert la vérité sur mes véritables compétences et sur mes relations libidineuses avec LEGARRET, son Directeur adjoint… et cela a été terrible pour moi.

J’ai d’abord eu une mise à pied pendant une semaine. Puis, à mon retour, il m’a expliqué que je ne pouvais pas continuer dans ce poste… que j’étais virée.

Que j’étais tout juste bon à faire du ménage, et encore !...

J’étais humiliée et honteuse.

Entre temps, le Directeur qui me couvrait…

— Ha oui… Votre amant ?

— Heu… Oui… Tout le monde le savait par-dessus le marché !

Bref !... Hé bien, Ils ont découvert également qu’il trafiquait avec la finance et qu’il mettait des fortunes sur son compte bancaire personnel.

Moi, je ne le savais pas… sincèrement.

C’est à la suite de cette enquête qu’il a découvert ma véritable situation et mon emploi, que l’on peut appeler de « Fictif ».

Ensuite il a cherché à savoir qui avait pu faire toutes ces créations de grandes qualités, qui plaisaient à tout le monde.

J’ai tout expliqué sur vous Benoit. J’ai tout dit de vos qualités… de vos capacités… et tout ce qui fait de vous un homme de talent qui assure professionnellement.

J’ai même avouée ma totale incompétence dans ce domaine.

Aujourd’hui, IL… VOUS… VEUT !... C’est formidable non ?... Vous vous rendez compte ?

Il souhaite dans un premier temps, que vous accepter le poste de responsable artistique de la société… reprenant ma place.

— Je ne vous crois pas !... Vous voulez encore me manipuler… pour vous venger ?

— Mais non, Benoit… Il veut vous nommer responsable artistique !

— Moi ?... responsable artistique ?

— Oui, vous Benoit… Vous le méritez bien !

— Et pourquoi est-ce vous qui me le proposez ?... Il ne peut pas le faire, lui ?...

Et vous… que devenez-vous dans tout cela ?

— Ho moi… Je quitte bien évidement la société. Je suis virée !

Il a voulu que ce soit moi qui fasse la première démarche auprès de vous… Pour vous demander pardon… comme une sorte de punition… et de repenti.

De toute façon, je vous devais bien cela Benoit. Acceptez Benoit… Je vous en prie !

— Je… Je ne sais pas… Il faut que je réfléchisse.

Là… tout de suite… j’ai un peu de mal.

— C’est ça. Réfléchissez.

Il va de toutes manières, vous appeler dès que je l’aurais informé. C'est-à-dire, très certainement aujourd’hui en fin de journée, ou au plus tard, demain.

Réfléchissez Benoit… Réfléchissez vite, et bien !

Adieu mon cher Benoit… ou plutôt, oui… Monsieur Benoit, car vous êtes un monsieur maintenant.

Encore mille fois « pardon ».

Bon courage et bonne route.

Elle raccrochait sans en dire davantage.

— Je n’y crois pas !... Je ne la crois pas !

 Je ne réalisais pas l’importance de cette nouvelle situation. C’était surréaliste !

Il s’en était passé des évènements depuis mon départ !

Comment pouvais-je croire cette faconde intarissable ?

Mon cerveau bourdonnait si fort dans ma tête de linotte, que je n’arrivais pas à réfléchir ni à me concentrer.

Je voguais dans les brumes gluantes, flottant dans les vapeurs sombres de ma chambre qui était devenue morbide, et dans ce lit éternellement défait, aux draps qui sentaient le moisi.

Je tentais alors un essai. Me lever.

Pas si facile que cela dans l’état où j’étais.

Mon corps était trop lourd pour mes pauvres jambes affaiblies.

Je retombais mollement comme un fruit trop mûr dans ce lit de chiffons usés, aux senteurs de tabac froid et de sueur, aux taches éparses de différentes couleurs… tout à la fois douces, nuancées et heurtées. Comme aurait pu le faire l’artiste peintre du fin 19ème, dans ses premières recherches abstraites.

Pas moyen dans ces conditions, de faire la synthèse immédiat de ce coup de téléphone pour le moins, surprenant !

Mes peu de neurones encore fonctionnels étaient bien trop meurtries et engourdies pour répondre à quoi que ce soit. De toute façon… je n’y croyais pas.

Je retombais, dis ai-je… dans une sorte de sommeil inconscient et artificiel… lourd, épais et envahissant.

 

Plusieurs heures s’étaient écoulées.

Je me réveillais en sursaut !... J’avais fait une sorte de cauchemar.

N’ayant plus la notion du temps… je n’avais jamais été capable de dire combien de temps avais-je pu voguer dans cet état léthargique et semi-comateux.

Il faisait jour et le soleil semblait haut. Quelle heure pouvait-il être ?

Pas moyen d’y répondre, je n’avais plus de réveil. La pile était usée.

A vu de nez, cela devait être la fin de matinée, vers les 12h.

En réalité, c’était 16h30.

Je n’avais pas reçu de coup de téléphone… ou bien je n’avais rien entendu.

Je m’en doutais bien… et je n’avais jamais cru que ce Directeur STONNER allait m’appeler. C’était de toute évidence, encore une machination malveillante de la Grappilleuse.

Pourquoi perdrait-il son temps avec moi… et pourquoi me téléphoner pour m’offrir un poste ?

Il ne faut pas rêver !

J’avais décidé de manger un peu.

Je me levais péniblement et je ramassais ce qu’il y avait encore de comestible dans le frigo.

Il y avait quelques œufs et un reste de petits pois en boite. Ça ferait l’affaire.

Ma tête continuait de bourdonner, comme si j’avais une perceuse électrique plantée en permanence dans le crâne… et mes mains tremblaient toutes seules !

J’avalais un cachet pour le mal de tête et je m’allongeais à nouveau sur le lit.

Quelques minutes avaient suffi pour que je reparte pour un long moment, dans les bras de Morphée.

 

J’ouvrais enfin un œil, puis l’autre… Il faisait jour et le soleil éclatait de plus belle.

Je m’étais assoupi profondément pendant plusieurs heures.

Puis, je me levais avec la vivacité d’un zombi, pour prendre un verre d’eau au robinet, afin de tenter de dissiper la sensation de bouillie écœurante que j’avais dans la bouche.

Il y avait encore un léger bourdonnement dans mes oreilles. C’était mieux et moins agressif.

Tout à coup !... le téléphone fixe se mit à sonner !

Je décrochais rapidement.

— Allo ?... Monsieur Benoit ?

C’était une voix d’homme cette fois.

J’avais eu peur que ce soit encore cette folle de la Grappilleuse.

— Oui… C’est moi.

— Bonjour Monsieur… Je suis STONNER, le PDG… Marie Cécile m’a prévenue de son appel avec vous.

— Bonjour Monsieur… C’est vrai, qu’elle m’a appelée.

— Monsieur Benoit, je vous prie de recevoir en mon nom, et au nom de toute la Société, toutes mes excuses pour les problèmes que certaines personnes mal intentionnées vous ont faites.

Marie Cécile m’a tout avouée, et elle m’a tout dit sur vous et votre talent.

Je suis au courant de tout !

Le Directeur LEGARRET a été mis en examen judicaire, par conséquent, il ne travaille plus pour la Société… et Marie Cécile a été renvoyée.

— Elle m’en a parlé, en effet.

— Monsieur Benoit… Je sais que vous êtes une personne qui possède de grandes valeurs. Vous êtes compétent et très professionnel… Aussi, je souhaite réparer ce malentendu et cette injustice… en vous offrant un poste de responsable dans notre Société de Publicité évènementielle.

Nous sommes prêts à vous faire un CDI, avec un salaire de cadre moyen tout à fait correct.

A la hauteur des responsabilités du poste, bien évidemment.

— Monsieur… c’est très gentil à vous d’avoir pensé à moi… mais… Je ne sais pas si je vais accepter.

Vous savez, j’ai tellement été humilié pendant des mois… traité comme un moins que rien !...

Tout le personnel s’avait pour cette relation amoureuse avec votre Directeur adjoint…

Ils s’avaient que cette femme était totalement incapable de faire quoi que ce soit de bien, qu’elle abusait de la situation… et qu’elle trichait sans arrêt.

Ils s’avaient que cette excitée était incompétente, irrespectueuse envers tous et toutes, et qu’elle ne connaissait rien au métier.

Ils s’avaient tous que j’étais exploité… au travail comme en salaire… Qu’elle me faisait faire des heures à n’en plus finir... pendant qu’elle batifolait ailleurs.

Elle se moquait de tout !... Elle passait la majorité de son temps à papoter, à sortir et à trainer avec ses soupirants.

Personne n’a jamais rien dit !

Pourtant, tout le personnel s’avait et voyait ce qui se passait !

Il n’y a jamais eu de plainte. Tout le monde en avait peur.

Et moi… J’ai été viré comme un malpropre, comme un moins que rien !

Alors que c’est moi qui faisais tout le travail et mené à bien, toutes les campagnes publicitaires !

Et vous voulez maintenant m’offrit un poste important ?... Alors que tout le personnel savait ?

Vous savez ce que veut dire le mot « honneur » Monsieur STONNER ?

Hé bien moi, j’ai ma fierté !

Pourquoi irais-je travailler dans un endroit où tout le monde joue de l’hypocrisie et de l’indifférence ?

— Je vous comprends parfaitement bien, Monsieur Benoit.

Mais n’oubliez pas que c’est certainement une chance unique que je vous propose là.

Et puis, j’ai remis de l’ordre dans les services. Ce n’est plus comme avant !

— Possible. Mais vous savez Monsieur… avec mon talent et mes connaissances professionnelles, comme vous le dites si bien… Je peux trouver un poste dans une autre entreprise quand je veux !

— Je n’en doute pas Monsieur Benoit… Mais réfléchissez bien… C’est une chance unique pour vous !

Sachez quand même, que ce genre de poste est extrêmement rare et qu’il ne fleurit pas sur n’importe quel arbre !

Vous avez toujours voulu faire ce métier, n’est-ce pas ?

— Oui, parfaitement… et je sais que j’y arriverais !

— Raison de plus, Monsieur Benoit… C’est aujourd’hui que ça vous arrive !... Profitez de l’aubaine... L’occasion ne se présentera peut-être plus !

Bon. Ecoutez, Monsieur Benoit. Voilà ce que je vous propose :

Vous réfléchissez… Tachez d’avoir mis de l’ordre dans vos idées et d’y voir plus clair… et demain matin,  je vous rappelle.

La nuit porte souvent conseille... D’accord ?... On fait comme ça ?

— Pourquoi pas.

Alors à demain matin, Monsieur Benoit.

— C’est ça… A demain.

Il coupait la communication.

Je tenais toujours le combiné dans la main :

S’il peut croire un instant que je vais me laisser faire… Surtout après avoir été humilié de cette façon… Il se trompe !Je coupais moi aussi le téléphone.

C’est vrai… Maintenant je le sais… C’était maladroit de ma part de réagir de cette façon.

L’arrogance et le manque d’expérience de ma jeunesse me jouaient des tours.

Je ne m’étais pas vraiment rendu compte de la réalité, ni de cette situation exceptionnelle.

C’est vrai… Il avait raison !... Un poste comme cela ne se présente quasiment jamais.

Je braillais sur ma future réussite sans en connaître le sens et les inconvénients.

Je n’avais pas cessé d’y penser tout le reste de la journée et d’une partie de la nuit.

Quel tourment !

Pourtant, dans ma petite tête de piaf, je persistais dans ma position ridicule… C'est-à-dire :

De me venger en refusant son offre.

Du même coup, je refusais la réalité et la sécurité de mon avenir.

J’estimais que je valais mieux que cela !

Je réussissais malgré tout à dormir. Demain, serait un autre jour !

 

Comme il l’avait dit… Le téléphone sonnait à nouveau. Ça devait être lui.

Je décrochais, encore étourdi de ma mauvaise nuit.

— Allo ?

— Allo ?... Monsieur Benoit ?

— Oui. Bonjour, Monsieur STONNER.

— Avez-vous bien dormi ?... Avez-vous réfléchi ?

— A vrai dire… Non. Je n’ai pas très bien dormi.

 Je dois reconnaître que votre proposition m’a obsédé pendant une bonne partie de la nuit.

— Et alors ?... Qu’en pensez-vous ?

— Je n’ai pas encore pris de décision.

— Allons, Monsieur Benoit… Il faut vous décider maintenant !... Soyez raisonnable.

Je sais que ce poste peut vous faire peur, mais pensez que c’est votre rêve !

C’est peut-être un problème de salaire ?

— Non. Ce n’est pas le salaire. C’est… C’est… Je ne sais pas !

— Vous avez subi un gros choc… Je peux le comprendre.

Je sais aussi que vous avez été malade, après avoir été mis sur la touche par mes ex-collègues. Je sais aussi que vous êtes dans un état dépressif… Mais bon. Tout cela doit pouvoir s’arranger ?

— J’espère.

— Mais si !... Allez !... Monsieur Benoit, réveillez-vous !

Je vous rappelle ce soir, en fin de journée.

Je vous donne encore une chance… jusqu’à ce soir pour accepter.

Pensez à votre avenir et acceptez ce poste.

Vous verrez, vous vous épanouirez dans notre société. 

Réfléchissez bien, Promis ?

— D’accord.

Et ensemble, nous coupâmes le téléphone.

Un long silence envahissait la pièce.

Que faire ?

Dans le fond de moi… je voulais accepter. Mais il y avait aussi une petite voix qui me disait le contraire !

Merde !... J’ai ma fierté quand même !

Je tournais en rond dans l’appartement puant, sombre et lugubre.

Mes pensées se perdaient dans un labyrinthe couvert d’une brume opaque.

— J’ai envi de ce poste… C’est mon rêve !... Merde !

Tout s’embrouillait dans ma tête et ça m’énervait.

Je n’arrivais plus à réfléchir correctement et je devenais vulgaire.

Je n’avais jamais été comme cela !

La solution était pourtant simple, et la logique de la réponse s’imposait d’elle-même.

Pourquoi avais-je tant de plaisir à me torturer l’esprit ?

Je n’étais pas orgueilleux avant !... Alors pourquoi ?... Pourquoi maintenant ?

J’avais de l’amour propre et de l’honneur, certes… comme la plupart de mes concitoyens. Mais point trop n’en faut !

Il y avait deux personnages contradictoires en moi.

 

Mes trois mois passés enfermé dans cet appartement crasseux, à boire de la mauvaise bière et à fumer, ne m’avaient pas fait de bien au corps ni à l’esprit.

J’avais développé ce péché capital qui était l’orgueil.

Je savais que l’orgueil pouvait tout détruire… et en particulier l’existence de tous individus.

Si l’orgueil est le revers de la médaille de la fierté… l’un n’est pas possible sans l’autre.

Pourquoi donc avoir développé ce défaut qui m’étourdissait tant, me torturait, me combattait et qui me brisait ?

 

Le reste de la journée avait été un pur calvaire.

Je ne tenais pas en place.

Je fumais cigarette sur cigarette, jusqu’à ce que le paquet soit vidé.

Les heures étaient des mois, et les semaines, des années.

Mon état général n’arrangeait en rien la situation.

J’étais fébrile et je sentais monter en moi de l’excitation négative, de l’angoisse malsaine.

Enfin, arrivait le moment où ce téléphone… si souvent repéré… se remettait à résonner.

Mais au lieu de me jeter sur le combiné… j’attendais un maximum de sonneries.

Pourquoi faisais-je cela ?

Déjà, cinq ou six sonneries avaient retenties, déchirants le silence de la pièce endormie.

Finalement… je décrochais d’un geste vif.

— Allo ?

— Allo ?... Monsieur Benoit ?... Je suis le Directeur STONNER.

— Oui… Bonsoir Monsieur.

Je tremblais de tous mes membres et j’avais une boule dans la poitrine.

Je n’arrivais plus à contrôler ce remue ménage qui agitait tout mon corps et qui perturbait mon esprit.

— Alors, cher ami… quelle est votre décision ?

— Hé bien… hé bien… Je n’ai pas encore décidé.

— Comment cela ?

— Je… Je ne sais pas quoi vous dire.

— Hooo !... alors… Ecoutez mon cher Monsieur… Je n’ai pas beaucoup de temps à perdre !

J’attendais une réponse de votre part pour cet instant même… Une réponse allant dans le bon sens.

Je pense avoir eu beaucoup de patience et d’indulgence avec vous… mais là… vous exagérez !

Vous n’avez pas l’air de vous rendre compte de la chance qui se présente à vous !

Je ne vais pas passer mon temps à vous supplier, croyez-moi !

Vous n’êtes pas unique, même si je pensais que vous puissiez faire l’affaire…

Maintenant, j’en doute !

Mais, rassurez-vous Monsieur Benoit… il y en a d’autres, tout aussi compétant que vous… et qui ne feront pas de manières, eux !

Je l’écoutais sans dire un mot. Ma gorge en bloquait toutes sorties.

— Vous ne me répondez pas ?

Bien. Par conséquent et compte tenu des circonstances peu banales… je ne vous appellerais plus. J’abandonne l’affaire !

Je vous donne pourtant une toute dernière chance pour vous rattraper.

Je vous donne une journée pour m’appeler et me donner votre réponse.

C'est-à-dire jusqu’à demain soir 19h.

Juste qu’une seule journée ! Après quoi, le poste ne sera plus disponible pour vous.

Vous m’avez bien compris ?

— Oui… Oui…

J’étais dans l’impossibilité de répondre quoi que ce soit. C’était épouvantable !

— Bonsoir !

Il raccrochait sèchement.

Je restais comme momifié. Je répondais machinalement et à voix basse, tel un automate :

« Bonsoir Monsieur… Le… Direct… teur… ».

J’avais la tête complètement vide.

Je ne comprenais pas ce qui venait de se passer.

J’étais hors circuit, comme déconnecté de toutes réalités.

J’étais pourtant un jeune homme intelligent, libre et simple… avec du bon sens.

Je souhaitais être grand et réussir... et en fait, j’étais tout petit et sans ambition.

Je voulais tout !... Reconnaissance, pouvoir, domination et puissance.

C’était en fait dans mes désirs que j’étais petit… insignifiant, mesquin et pitoyable.

J’étais tel un navire pris dans une terrible tempête, à la dérive, brisé, chahuté et détruit contre des récifs insurmontables. Je me suis échoué sur une berge inconnue… abandonné de tous… face à des falaises vertigineuses.

C’était la fin de mes espérances, de mes désirs de puissance, de grandeur et de reconnaissance.

J’étais face à moi-même… face à la mort !

Après la tempête et la violence… pesante, effrayante, impitoyable, lourde et sournoise…

Arrive le silence, le calme et le repos.

Puis, arrive aussi la sérénité, la réflexion positive et la clairvoyance.

Il me semblait être dans un nouveau royaume !

 

Dans ma vie d’avant… J’avais tout construit de mes mains sans jamais rien demander.

J’avais voyagé parmi mes semblables, incognito, presque transparent.

J’avais vogué dans un « bateau d’ébène » résistant, à l’épreuve des pires choses et j’avais tissé ma voile de fils d’or…

J’avais tracé ma vie.

Bientôt, je serais face à mes juges. Face à moi-même.

Pourquoi avais-je fait naufrage ?... c’était l’incertitude, le trouble et le doute.

J’aurais dû pouvoir monter les marches de diamants chromatiques de ma nouvelle vie.

Je devais arriver jusqu’à la vraie lumière… celle de la connaissance… celle de la reconnaissance… de l’humanité… de la sagesse et de la force.

J’allais dans l’autre sens, là où l’orgueil me conduisait.

Le minotaure qui vivait en moi me jouait des tours… et petit à petit m’avilissait.

Il y a des phénomènes qui parfois nous inspirent, nous portent et nous guident… Moi j’allais à l’encontre de mon destin.

Je devais être un homme accompli, qui devait être celui d’entre les êtres qui maintenait en face de la vie universelle, l’état d’amour, de beauté et d’espoir, qui se trouvaient dans mon cœur.

Je devais en prendre conscience. La connaissance est la conscience de la réalité.

Allais-je rappeler ou non ?... J’étais incapable de répondre à ce dilemme.

Une partie de moi me disait qu’il fallait que je le fasse et qu’il fallait que j’accepte le poste…

Et l’autre partie… Le minotaure, m’empêchait de répondre et tout particulièrement, m’incitait à refuser. Il avait des idées de vengeance.

Mais finalement… qui serait le plus puni dans cette ridicule histoire ?

L’ultimatum arrivait à sa fin.

J’étais toujours dans le tourbillon de mes réflexions contradictoires.

Je m’étais remis à boire cette saloperie de bière, et j’avais racheté des cigarettes avec les quelques sous qui me restaient.

Quelques minutes avant ces foutues 19h… ma tête était si embrouillée que je m’étais une nouvelle fois affalé sur le lit. Inconscient.

 

Je m’étais réveillé que longtemps après… au lendemain, et tard dans la journée.

J’attendais encore… et pourquoi ?

J’avais passé la date de péremption.

Il était trop tard maintenant, je le savais.

Mais dans un sursaut de regrets et de clairvoyance, je m’étais saisie du téléphone… et j’appelais le Directeur STONNER.

Je tombais tout d’abord sur sa secrétaire.

Après des explications vaseuses, elle réussissait à me le passer.

— Oui ?

— Monsieur STONNER ?

Je suis Benoit… vous vous rappelez de moi ?

— Oui. Mais vous vous décidez trop tard…

Vous avez trop usé ma patience, et vous osez m’appeler deux jours après ce qui avait été convenu ?

Maintenant, c’est trop tard. Je vous avais prévenu.

Le poste n’est plus disponible.

Au revoir.

— Attendez Monsieur STONNER !... Mais… J’ai été malade… J’étais inconscient… Je ne voulais pas…

— Désolé !... mais c’est trop tard !

Et il raccrocha.

Je tentais de réfléchir… ça ne faisait pas deux jours quand même ?

Et si c’était vrai ?

Là, d’un coup… la triste réalité m’arrivait en face, effrayante et impitoyable… comme si je recevais un tsunami en pleine figure.

C’en était fini pour moi.

Comment pouvais-je vaincre le minotaure qui était en moi ?

J’étais de nouveau dans l’obscurité des couloirs et des salles inquiétantes… dans les ténèbres de ce monde souterrain.

Ce minotaure représentait en moi l’incarnation de la pulsion négative et de l’animal sauvage.

Les dieux et les déesses sont des archétypes immortels, parce qu’ils renaissent en chaque homme et le tyrannisent dès son entrée dans l’existence.

Ils se livrent une incessante guerre.

J’étais un vaste champ de bataille !

Dans ce labyrinthe… premier habitat des hommes, endroit logiquement protecteur… foyer de leur communauté…

Là, où les hommes naissaient, vivaient et mouraient…

J’étais revenu désormais dans ma dernière demeure et dans mon sanctuaire… Où j’aurais dû rechercher la voie pour être un homme nouveau.

Il y avait là, tout au fond de ce labyrinthe, mon ennemi le plus dangereux…

C'est-à-dire : moi !

J’étais revenu sur mes pas… Je me retrouvais au même point qu’au début de mes espérances et de mes recherches… tout aussi peu pourvu de ce, après quoi je soupirais.

Il ne m’était pas facile de me débarrasser de mon ennemi, tant que la bête vivait en moi.

Je pensais m’en être libéré… Alors, j’étais fier de moi.

J’avais jeté un dernier regard triomphant en arrière, mais… aussitôt, l’orgueil avait refermé son piège ! Mes démons avaient ressuscités… plus que jamais et bien plus forts !

Fallait-il noyer entièrement ce labyrinthe pour tuer la bête et éteindre le feu qui me consumait ?

C’était certainement la meilleure solution.

Qu’allais-je faire maintenant de ma pauvre et lamentable vie ?

La construire ou la détruire ?

La construire avec la beauté de l’âme, la sagesse de l’esprit et la force du corps ?

J’étais convaincu du contraire et qu’il était trop tard.

Ou bien détruire définitivement la laideur de l’âme… la bassesse de l’esprit, la brutalité du corps et l’homme que j’étais… ou du moins, ce qu’il en restait.

Celui qui devait fièrement construire une vie pleine de bonheur et de joie, n’en avait plus la force.

J’étais désormais prêt à tout détruire de ce qui me restait !

J’avais pris ma décision.

C’était une décision fatale !

Ce soir, ne serait pas un soir comme les autres.

Ce serait le début et la fin… L’aboutissement et la terminaison d’une vie… De ma pauvre vie.

J’avais décidé d’y mettre un terme.

Je noierais la bête !

 

Personne ne m’attendait, ni pouvait s’inquiéter de mon absence… Je ne manquerais donc pas à personne.

J’en terminerais par conséquent avec cette stupide existence dans l’indifférence la plus totale.

Ce soir de septembre là, j’avais dit adieu au monde de la bêtise, du paraître, du profit, de la corruption, de la manipulation et de l’hypocrisie destructive.

Ce soir, serait ma grande soirée !... Celle de ma sortie et de mon départ !

Je partirais comme j’avais vécu… C'est-à-dire dans la transparence et l’ignorance.

Peut-être allais-je faire une erreur ?

Ce ne sera plus à moi d’en juger, mais à vous.

Convaincu cette fois… Je me dirigeais tranquillement, calme et serein… vers le grand fleuve.

A cette heure tardive de la nuit, il m’avait fallu environ quinze minutes pour faire le parcourt à pieds jusqu’au bord du quai sombre.

L’endroit était lugubre, glauque à en mourir... et cela me convenait.

C’était un soir sans étoiles. Lourd et pesant.

Le fleuve ressemblait à un long ruban nauséabond d’huile épaisse noire… évoluant onctueusement avec calme et lenteur. Tout était noir.

Je regardais une dernière fois les lumières qui scintillaient au loin… Puis tout autour de moi.

Personne. Il n’y avait personne… J’étais seul et l’endroit semblait désert.

Alors… Mes yeux s’étaient dirigés dans la direction de cette soupe écœurante qui coulait à mes pieds.

Lentement… sans à-coups et sans retenue… je me penchais en avant, jusqu’au déséquilibre.

Je tombais lourdement la tête la première dans ce jus infâme qui m’aspirait et m’enveloppait immédiatement.

Je coulais doucement sans bouger… léger comme une plume… sans nervosité et sans me débattre.

Je retrouvais inconsciemment le souvenir de la douceur du liquide amniotique maternelle.

En quasi apesanteur… j’avais perdu toutes notions physiques.

Tous mes sens s’engourdissaient peu à peu.

L’épaisseur des ténèbres m’attirait inexorablement vers mon futur destin, momifiant tout mon corps jusqu’au bout de mes veines, du voile de la mort.

Puis… J’avais senti l’eau envahir mon nez et ma gorge…

Puis, remplir peu à peu mes poumons.

J’étouffais douloureusement, mais j’avais accepté sans me défendre cette dernière épreuve.

Je tentais de contrôler cette violence assourdissante et cette peur nouvelle de l’inconnu.

Tout mon corps me faisait terriblement mal.

Résigné… les bras, les jambes tendues et les doigts crispés, je ne bougeais plus.

Je ne sais plus si j’avais gardé les yeux ouverts… Tout était si noir autour, et en moi.

Je ne sentais plus le froid…

Je n’avais plus mal…

Je me sentais parfaitement bien.

 

Et après ?

Hé bien, après…

Huit jours plus tard et trois kilomètres plus loin, des pêcheurs avaient retrouvés mon corps au milieu d’un petit banc de boue, parmi les roseaux, sur une rive du grand fleuve.

 

Voilà, chers amis lecteurs…

Ma bien triste histoire !

 

- FIN -