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L’expression d’un souffle…

 

Le danseur (ou la danseuse) est le propre outil de son art.

A la fois instrument et compositeur… il est l’outil de sa réalisation et l’objet de sa quête.

Il est animé par le souffle de la vie, celui qui vient de l’au-delà, du divin.

Sa respiration à lui, c’est son carburant vital… tantôt lente, tantôt vive, et accélérée… Souffle coupé ou retenu, à la l’expiration profonde… afin qu’il puisse faire les mouvements répétitifs ou figures figées… Survolant le sol, bravant la pesanteur… Combattant des ennemis invisibles, flirtant avec l’improbable absence… Le désarticulé, le pantin, la marionnette d’un moment… dans sa solitude, remet à chaque seconde sa vie en jeux.

Tel est le quotidien du danseur.

Pris dans un rituel tourbillonnant, strict et compliqué… il visite sans cesse l’intérieur de son corps et il rectifie sans relâche son émotion et ses attitudes.

C’est son lot de souffrance et de pénitence. Il doit, chaque jour poursuivre le chemin de l’inaccessible perfection.

Trouver la verticalité… l’horizontalité… l’élévation… l’équilibre… Défier sans cesse l’attraction qui l’attire inexorablement le bas… Lutter pour devenir libre de toutes contraintes… Profiter du souffle de la vie avec avidité… Le danseur n’hésite pas à remettre en cause ses acquis et toute sa confiance.

Tout le travail consiste à accomplir les gestes dans un naturel le plus parfait, pour satisfaire le spectateur.

Ne pas sentir l’effort… Ne pas montrer la souffrance… Ne pas faire croire qu’il a peur… Car il n’y a pas de place pour le doute.

Toujours donner l’impression qu’il improvise et ne pas montrer qu’il a mainte et mainte fois répété le mouvement. L’instant où il s’expose doit être magique. Bien qu’éphémère… le moment doit rester dans toutes les mémoires.

Concentration maximale par l’esprit et par le ventre… Positionner sa force et sa puissance au centre de soi, pour ressentir l’émotion, l’équilibre, le moindre muscle et les articulations en action. Contrôler l’appareil sans jamais paraître effrayé, ni épuisé.

Résister… admettre… lutter… se soumettre… retenir son souffle jusqu’à l’expiration nécessaire à l’effort. Puis, le relâchement, le calme et la détente.

Plus de pression, plus de battements de cœur infernaux dans les tempes, plus de poitrine qui éclate et de pieds engourdis… Plus de bruit… que celui de la satisfaction et du travail accompli. Satisfaction de lui-même, de sa prestation, tout d’abord… mais aussi celui des spectateurs qui ont partagés avec lui ce moment fort. Ici et maintenant.

Traversé par la lumière, le danseur donne sa vie au temps.

Ne pas brûler les étapes… et suivre coûte que coûte le chemin qu’il s’est tracé.

Pour réussir la performance, pour séduire… il sait que tout son corps doit être préparé, qu’il faut le malaxer sans se plaindre, l’échauffer sans repos. Il sait qu’il doit retenir sa fougue et son impression de maîtrise… Il doit contrôler l’énergie qui l’anime, afin d’éviter le pire. C'est-à-dire ; la crampe, la déchirure, le trou de mémoire… ou pire encore… la chute.

Il serait alors comme le sculpteur qui rate son coup de ciseau sur la pierre, et qui arrache tout un morceau. Le travail serait foutu. Terminé. Il ne pourrait plus continuer.

Il doit concilier sans cesse les oppositions qui l’animent : La puissance de ses muscles et sa grande souplesse. Trouver l’harmonie et le juste équilibre, loin de toute tension. Son approche est sage, humble… Faire honneur à ses pairs. La maîtrise du corps doit être totale.

Le secret ?... Travailler encore… et encore. Acquérir la technique au plus haut niveau. Combattre l’imperfection, le raté, la difficulté et le doute. Ces contraintes librement acceptées font parti du quotidien, de chaque heure, de chaque minute, de chaque seconde.

Faire oublier jour après jour, par degrés successifs, la technique… pour que dans l’instantanéité de la danse, le souffle qui l’anime soit rendu visible.

« L’art s’étiole et périt quand il devient technique pure » disait Serge Lifar.

Une technique dénuée de la flamme créatrice est un corps sans âme. C’est par la vérité de l’esthétique et de la métaphysique que va naître l’émotion. Et une émotion, ça se partage.

La liberté ne se donne pas, on doit la conquérir, et le plus grand ennemi qui nous rencontrons dans ce combat, c’est nous même. Cette discipline est pénible, répétitive, dure… et demande beaucoup de sacrifices. Car les gestes naissent et meurent dans le tourbillon impitoyable de la vie.

« Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et les dieux » Ecrivait Kipling.

Danser, c’est accepter avec humilité des capacités finies, afin de tenter de faire naître l’infini du geste. Danser, c’est avant tout communiquer, s’unir, rejoindre, parler de l’autre dans les profondeurs de son être. C’est l’union… Lui, le trait d’union. Union de l’homme avec l’homme… de l’homme universel. Danser, c’est prendre possession de l’espace et du temps… S’y tenir l’espace d’une seconde, suspendu… pour retrouver le sol et le quitter à nouveau. Tourner son regard vers la lumière… puis, revenir vers le monde des hommes.

Au-delà de la technique, au-delà du geste mille fois répété… Danser, c’est toujours « ici et maintenant ». Danser, c’est un acte de création, toujours renaissant… qui puise au plus profond de soi, du corps, l’énergie vitale qui représentera au monde, la présence invisible du souffle créateur, pour que naisse la beauté, la grâce et l’harmonie au rythme de la symphonie universelle de la vie.